Patrick Béthune
Voici l’interview de Patrick Béthune ! Vous pouvez voir une partie de sa voxographie sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Bethune
Il est entre autres la voix officielle de Kiefer Sutherland, de John Schneider, et a doublé de nombreuses fois le fantastique Brendan Gleeson !
Très bientôt je l’espère, l’interview disponible en audio !
Jeudi 8 Décembre 2011
– Pourquoi comédien ?
Par désir ! Je me suis inscrit à l’atelier d’un américain tout juste débarqué à Paris qui représentait l’Actors Studio de Lee Strasberg : Andreas Voutsinas. J’avais dix-huit ans. Je me suis retrouvé avec des comédiens professionnels (Claude Brasseur, Michèle Simonnet, Brigitte Fossey, etc…) qui venaient se faire coacher pour des tournages ou des scènes de théâtre : j’ai tenu six mois et j’ai arrêté… trop forts pour moi ! Je suis devenu coursier, j’ai ensuite participé à l’organisation de concerts rocks avec KCP pendant six ans puis brocanteur pendant quinze ans avant de retenter l’aventure à quarante ans : je suis allé m’inscrire au cours Florent (six mois) puis à l’École du Passage de Niels Arestrup (un an et demi) avant de retrouver le Théâtre des Cinquante de Voutsinas. Ça y est, je pouvais enfin jouer ! Le théâtre, le cinéma, le bonheur ! Au bout de quelques années, un copain comédien m’a proposé de venir assister à des enregistrements de doublage et j’ai adoré.
– En quelle année était-ce ?
C’était fin 1998, à peu près. A partir de là j’ai assisté de plus en plus, j’ai fait pas mal d’ambiances, des petits rôles puis j’ai décroché mon premier rôle principal dans une série de dessin animé.
– Vous vous rappelez lequel ?
C’était Allô la Terre, ici les Martin, le rôle de Georges Martin, une espèce de déglingué qui vivait avec toute sa famille déjantée sur une planète de dingues : c’était jouissif ! Ça a duré un an et demi. Pendant ce temps, je continuais mes petits rôles dans des séries et autres téléfilms avant qu’on me propose de participer aux essais pour le rôle de Jack Bauer dans une nouvelle série : 24h. Ça a été ma grande chance : doubler un tel personnage et au fil des saisons pouvoir rencontrer plein de comédiens différents, des directeurs artistiques, etc…
– En 2001, vous aviez aussi commencé Smallville, où vous doubliez John Schneider qui jouait Jonathan Kent.
Oui, là encore le fait de tomber sur un rôle récurrent chez Dubbing Brothers m’a permis d’être un peu plus connu dans le milieu du doublage.
– Vous suivez encore John Schneider ?
Oui, bien sûr. Il ne fait pas des choses monstrueuses, mais il tourne beaucoup dans des téléfilms, des séries comme Desperate Housewives par exemple. J’ai aussi la chance de doubler régulièrement Treat Williams depuis la série Everwood.
– Je voudrais m’attarder un peu sur 24 : vous avez suivi Kiefer Sutherland sur huit saisons, un téléfilm, peut-être un film qui va arriver dans quelques années !
J’ai lu récemment que le tournage était en effet programmé pour avril ou mai prochain (2012, ndlr) en Europe.
– Ah, ça y est ? Parce que plusieurs scénarios avaient été écrits, ça n’avançait pas…
Ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord… aux dernières nouvelles, le scénariste serait celui de Jeux de Pouvoir, dans lequel j’ai d’ailleurs doublé Russell Crowe. En revanche, le réalisateur ne serait pas encore définitivement choisi. Mais bon, c’est en bonne voie alors qu’on pensait le projet abandonné.
– Il y avait des différences de travail entre une saison de 24 et le téléfilm, le format n’étant pas le même ?
Non, nous avons enregistré le téléfilm au même rythme que les épisodes. Surtout qu’arrivant après la 6ème saison, nous tenions déjà plutôt bien nos personnages, donc ça ne posait pas de problème. Ça s’est fait en trois jours.
– Et combien de temps vous prenait une saison ?
L’enregistrement d’une saison s’étalait en gros entre les mois de mars et fin juillet, trois à quatre jours par mois en ce qui me concerne. Les épisodes nous arrivaient au compte-goutte : deux à trois mois après leur diffusion aux Etats-Unis. Tout devait aller très vite. Par exemple, le tournage des épisodes 6 et 7 s’effectuait alors que le début de la saison était déjà en diffusion : c’était vraiment du flux tendu ! On commençait l’enregistrement des épisodes en France alors que le tournage américain de la saison n’était pas terminé.
– Comment avez-vous abordé le rôle ?
Tout notre travail consiste à s’approcher au plus près de l’interprétation du comédien original en évitant à tout prix toute vision personnelle ou différente du personnage à doubler. Je n’ai pas cherché à imiter Kiefer Sutherland. Le personnage de Jack Bauer est beaucoup dans le souffle, dans une espèce de tension « sourde » qui montre à la fois sa résolution dans l’action et ses faiblesses, ses doutes. J’ai essayé de reproduire au mieux cet état choisi par le comédien pendant le tournage.
– Et il me semble que le directeur de plateau était Philippe Peythieu, que vous avez retrouvé sur Les Simpsons pour l’épisode faisant justement référence à 24.
Philippe adore son métier, sa direction artistique est précise, simple et efficace : j’ai beaucoup appris à ses côtés. Et en huit ans, cette belle complicité s’est transformée en belle amitié.
– Et même si la série s’est terminée l’année dernière, vous continuez à suivre Kiefer Sutherland au cinéma, par exemple dans Mirrors il y a quelques années.
Je l’ai suivi depuis dans tous ses films, ses téléfilms, ses participations dans des films d’animations comme Monsters vs Aliens, dans des documentaires, ses pubs pour Mac, etc…
– On peut donc dire que vous êtes sa voix officielle ?
Oui, à peu près… je ne l’ai pas doublé dans Melancholia de Lars Von Trier !
– Tintin est donc sorti il y a quelques mois, comment êtes-vous arrivé sur le Capitaine Haddock ?
On m’a appelé pour faire une bande-annonce, c’était Tintin, Le Secret de La Licorne !
– Vous n’étiez pas prévenu de quelle bande-annonce il s’agissait ?
On est rarement prévenu. On nous appelle : «t’es libre tel jour pour une bande annonce ?» et voilà ! Jean-Philippe Puymartin m’a demandé de doubler Barnabé dans ce premier film annonce de Tintin. Le casting des personnages principaux n’était pas terminé. Je connaissais bien Jean-Philippe qui m’avait déjà dirigé à de nombreuses reprises. Je rêvais de doubler le Capitaine Haddock et lui ai demandé de participer au casting : il a gentiment accepté et j’ai été choisi !
– Et comment s’est passé le doublage ? Plusieurs comédiens m’ont dit que Spielberg était un réalisateur très impliqué sur le doublage de ses films, et qu’il a toujours un représentant présent sur le plateau.
Il a une représentante, Claudia, qui s’occupe de tous les doublages de ses films. C’est énorme ! Pour Tintin, elle a dû gérer 32 langues différentes simultanément ! Elle travaille depuis le studio où on a fait le doublage du film : elle était extrêmement présente ! Ça peut s’expliquer par le fait que le doublage français est souvent considéré comme une référence.
– Dans quelle mesure intervient-elle sur le doublage ?
Une fois que la scène travaillée avec Jean-Philippe est terminée, elle vient nous dire si ça lui plait ou pas, si ça correspond à ses attentes… c’est elle qui a le dernier mot.
– Vous avez aussi doublé plusieurs animés japonais, comme RahXephon, ou Ghost in the Shell, est-ce différent à doubler d’un dessin animé occidental ? Les japonais étant très expressifs dans leurs doublages, parfois exagérément, comment retranscrivez-vous ça à l’écran ?
Alors là on est obligé de s’éloigner un peu de la version originale. On ne garde que l’énergie. En ce moment, je travaille sur une série japonaise, One Piece, qui fait un tabac là-bas. La nouvelle direction de la maison de production a décidé de changer le narrateur français : avec l’accord du comédien concerné, j’ai repris le rôle. L’interprétation doit être beaucoup plus impliquée, plus énergique ! C’est très différent d’un dessin animé occidental.
– Et pour Harry Potter, comment ça s’est passé ?
J’ai passé des essais sous la direction de Jenny Gérard. C’était un personnage particulièrement agréable à doubler, notamment parce que Brendan Gleeson est un excellent comédien ! C’est un acteur fantastique qui a travaillé à la Royal Shakespeare Company, un homme de théâtre. Je l’ai doublé récemment dans L’Irlandais où il joue le rôle d’un flic ripoux de base, qui boit de la bière jusqu’à plus soif au fond d’un pub irlandais entouré de putes… réjouissant, que du bonheur !
– On peut aussi vous entendre dans des jeux vidéo, comme par exemple dans celui de 24, ou les Call of Duty. Comment se passe le doublage d’un jeu vidéo ?
C’est une technique particulière. On n’a pas d’image, on nous montre éventuellement le personnage sur une photo ou un dessin et ensuite on travaille avec une contrainte : l’espace sonore dans lequel on doit enregistrer est matérialisé sur un écran ; on nous passe une fois la référence anglaise et on doit faire entrer notre interprétation dans cet espace précis. C’est assez troublant au début. Heureusement, on est dirigé et la référence anglaise nous donne l’esprit, l’énergie et la situation du personnage.
– Que pensez-vous de cette facette de votre métier ? J’ai parlé à des comédiens qui appréciaient, d’autres moins…
C’est un peu comme les Voice over dans les documentaires, ce n’est pas passionnant a priori, mais c’est toujours pratiqué dans une bonne ambiance avec des gens concernés et professionnels… alors, ça devient un plaisir.
– J’ai lu que vous aviez eu l’occasion de rencontrer Kiefer Sutherland en vrai !
J’étais allé à Los Angeles pour accompagner le réalisateur d’un film français dans lequel j’avais joué. C’était l’année de la troisième ou quatrième saison. Comme j’étais là-bas, j’en ai profité pour chercher le nom de l’agent de Kiefer Sutherland. Je l’ai appelé et lui ai dit que j’étais la voix française de Jack Bauer. Il m’a donné les coordonnées de l’assistante de Kiefer qui m’a rappelé dix minutes plus tard : «on tourne cette nuit à Pasadena, vous pouvez venir ?». Euh… bon, d’accord. Ils tournaient dans un hôpital. Au début, je pensais me cacher dans un coin en attendant mais j’ai été très aimablement accueilli par les producteurs qui m’ont dit «viens, on travaille sur le même bateau !». J’ai rencontré Kiefer qui allait tourner et m’a demandé de l’attendre. J’ai pu voir l’ambiance particulière du tournage, la lumière, les deux caméras qui donnent ce mouvement dans la série, comment ils travaillent. C’était marrant de se dire que j’allais doubler quelques mois plus tard la scène à laquelle j’assistais ! Puis j’ai pu discuter avec Kiefer Sutherland. Il m’a demandé comment marchait la série en France, comment elle était reçue, comment se passait le doublage, etc… il a fini en me disant «si tu viens jouer aux Etats-Unis, je te double !». Sympa, non ?
– Il doit avoir une stature un peu particulière ? Il doit être assez impressionnant !
Là bas, sur un plateau, tout le monde est extrêmement professionnel. Les producteurs, les acteurs, les petits, les grands, les techniciens, tous sont logés à la même enseigne. Après, sortis de là, ils ne roulent pas dans les mêmes voitures et ne vont pas dans les mêmes restaurants, mais sur le tournage, ils sont tous simples et pros !
– C’est quelque chose qui existe moins en France ?
Aux Etats-Unis, on passe un coup de fil, on a un rendez-vous immédiat avec n’importe quel producteur, n’importe quel agent ! Il vous laisse un quart d’heure mais peut le rencontrer, on peut discuter. Ils ne veulent pas risquer de passer à côté de quelque chose d’intéressant (et c’est le cas pour tous les secteurs professionnels). En France, il suffit d’essayer de joindre ne serait-ce qu’une secrétaire pour comprendre la complexité inextricable du système.
– Des doublages qui arrivent ?
Je viens de passer des essais pour une série…croisons les doigts ! Sinon j’ai quelques dates d’enregistrement de prévues, pour le reste, on nous appelle souvent au dernier moment.
– Et pour finir, que répondriez-vous aux personnes qui affirment que le doublage, c’est « s’asseoir et lire un texte » ?
Qu’ils essayent ? J’ai vu un jour une jeune femme venir faire des essais sur un plateau, une animatrice de radio avec une très jolie voix. Elle a d’abord assisté puis elle a essayé : ça ne marchait pas. La technique du doublage est très facile à comprendre, il faut un peu de temps pour la maitriser et… après, il faut interpréter, jouer, et c’est le métier du comédien !
– Du coup, que pensez-vous du fait que de plus en plus de stars non comédiennes soient appelées pour doubler des dessins animés, par exemple ?
C’est une démarche marketing pure. Certaines stars se débrouillent très bien. Les humoristes surtout comme Elie Semoun ou Gad Elmaleh car ils ont immédiatement l’énergie nécessaire. Après, pour d’autres, c’est plus difficile… je ne parle pas des non comédiens, comme par exemple Cauet dans Garfield. C’est un très bon animateur mais ça ne suffit pas. Mais pour le marketing, c’était parfait : il en a parlé dans ses émissions, à la radio, dans la presse, etc… ça se paye ! Dommage pour le film.
– Merci beaucoup, Patrick !
Avec plaisir !